À l’évidence, être reconnu comme un des minores du XIXe siècle ne figurait pas au rang des projets d’Arsène Houssaye (1814-1896), qui a mis beaucoup de soin à construire sa légende et imaginait sans doute que sa postérité apparaîtrait sous de tout autres couleurs, bien plus éclatantes. Le constat, pourtant, s’impose : Arsène Houssaye est non seulement peu étudié aujourd’hui, mais il est surtout devenu un objet de dédain voire de mépris. Est-il seulement encore lu ? Sa production a pourtant été immense (il est crédité de 521 ouvrages dans le catalogue général de la BnF) et il a publié dans tous les genres (roman, nouvelle, poésie, théâtre, journalisme, essai historique, critique d’art), ‒ ce qui lui a fait gagner d’ailleurs une réputation de « touche-à-tout ». En outre, l’importance de son rôle dans la République des Lettres a été considérable (il fut propriétaire, directeur ou fondateur de plusieurs revues, et dirigea pendant une demi-douzaine d’années le Théâtre-Français).
Pourtant, malgré cette activité foisonnante et diversifiée, Houssaye semblait déjà peu apprécié de son vivant. La petite presse avait fait de lui une de ses cibles favorites, la réussite matérielle de ses entreprises ‒ qui lui avaient apporté très tôt la fortune ‒ irritait ses contemporains, et le culte qu’il rendait à l’hédonisme était généralement tourné en ridicule. En outre, Baudelaire le considérait comme une « canaille » et les Goncourt |
Rachilde, dite « Mademoiselle Baudelaire », de son vrai nom Marguerite Eymery (1860/1953), a publié plus de soixante romans réputés pour leur modernité et leur tonalité fin-de-siècle. Si elle a connu les aléas de la postérité, victime de sa dimension scandaleuse, elle laisse un parcours représentatif de la littérature française entre 1880 et 1950. Célèbre et courtisée durant trois décennies au moins, elle connaît une fin de carrière et de vie dans l’oubli alors même qu’elle continue d’écrire sans rien renier de ses opinions et de sa manière toujours singulière d’appréhender le monde.
En 2023, son œuvre tombe dans le domaine public et le monde éditorial s’emploie à redécouvrir des textes originaux dont le caractère souvent subversif peut interroger avec pertinence notre époque. Outre-Manche et outre-Atlantique, le monde universitaire s’est déjà emparé, notamment sous l’effet des gender studies, d’un corpus qui renouvelle l’inspiration romanesque à la fin du XIXe siècle et ouvre des pistes pour le suivant. Car Rachilde est l’autrice de romans qui ont pu paraître à la fois licencieux et suffisamment complexes pour ne pas se démoder et quand l’histoire littéraire la range dans la catégorie des « minores », s’agit-il de lui reprocher au choix : des sujets trop audacieux ? un style trop académique ? un parcours personnel trop tapageur ? des relations trop voyantes et variées ? des prises de position trop tonitruantes ? On ne sait plus… |
Pour beaucoup, Francis Carco (1886-1958) est et restera le romancier du Milieu, l’amateur des bouges mal famés de la Place Blanche, de Pigalle et de la Butte Montmartre, le chantre gouailleur d’une faune interlope qui mêle apaches, marlous et femmes perdues, dans un Paris labyrinthique où les ors des Grands Boulevards peinent à tenir à distance la boue des fortifs. On ne compte plus les évocations de Carco qui reprennent la lettre adressée à Léopold Marchand dans laquelle il se promet « de foutre dans la gueule des bourgeois, des romans musclés et pourris dont ils se pourlécheront les babouines. » Cette image, sans être totalement erronée, ne rend que très partiellement justice à l’écrivain que fut Carco. À la fois à la marge et au centre du champ littéraire, Carco se tient au croisement des voies du succès commercial, de la respectabilité institutionnelle et de l’absolu littéraire. Nous entendons examiner le paradoxe Carco à travers les différents domaines de sa volumineuse production qui se ramifie dans le roman et la poésie, bien sûr, mais également dans la critique d’art, le reportage et les souvenirs littéraires : la prolixité de son écriture tend à oblitérer, aux yeux de la critique comme du public, un questionnement continu des formes et de leur légitimité, sous la bannière d’une modestie feinte ou sincère, démarche qui fait de Francis Carco un singulier minor dans le paysage des lettres de la première moitié du XXe siècle.
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Au printemps 1940 paraît dans les Nouvelles littéraires une enquête sur les écrivains étrangers, principalement romanciers, ayant choisi d’écrire leur œuvre en français : les « Conrad français ». Ultime manifestation du cosmopolitisme d’entre-deux guerres juste avant la Débâcle, ces entretiens défendent une vision de la littérature ouverte, donnant toute leur place à des écrivains aussi divers que Jean Malaquais, Irène Némirovski, Ernst Erich Noth, Green, Kessel, Troyat, entre autres, auxquels il convient d’ajouter bien d’autres, de Panaït Istrati à Victor Serge, de Romain Gary et Benjamin Fondane à Albert Cohen, de Nathalie Sarraute à Tristan Tzara… Sans eux, la littérature française n’aurait pas le même visage. Relire ces œuvres ensemble, non comme autant d’itinéraires singuliers mais pour ce qu’elles signifient collectivement, comble une lacune de l’histoire littéraire et conduit à repenser la période – d’autant que leur apport se continue bien au-delà de juin 1940, notamment à travers des textes d’une grande maturité littéraire, souvent novateurs, écrits pendant le conflit ou dans l’immédiat après-guerre, qui portent des regards lucides et déchirés sur la France de la Défaite et de Vichy, regards dont nous avons bien besoin aujourd’hui.
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Louise Colet n’est restée dans la postérité littéraire qu’en tant que maîtresse de Flaubert alors qu’elle a composé une œuvre remarquée : de la poésie, des romans, des récits de voyage, des textes biographiques, des enquêtes historiques. Si elle a beaucoup écrit pour la presse en rêvant de diriger sa propre revue, elle a tenu aussi un salon littéraire très couru. Ainsi s’est-elle imposée en figure incontournable du monde littéraire.
Malgré de nombreux reproches – on incrimine son éclectisme et fait d’elle un simple bas-bleu –, Louise Colet a laissé une œuvre qui mérite d’être relue. Si l’écrivaine compte aujourd’hui au nombre des minores de son temps, elle n’en est pas moins une figure qui illustre avec beaucoup d’intérêt le XIXe siècle. SOMMAIRE Introduction I. ÉCRIRE 1. « Et mon front couronné s’appuie au front du Temps » Trajectoire poétique de Louise Colet, par Antoine PIANTONI 2. Louise Colet et les conseils de Flaubert, par Éric LE CALVEZ 3. De quelques éléments de facticité dans le roman coletien, par Thierry POYET |
Homme d’influence, académicien, bien introduit dans les cénacles les plus courus, Maxime Du Camp a cherché à être une conscience de son temps en même temps qu’il a espéré peser de tout son poids sur la littérature en train de se faire. Porteur d’un point de vue original et complexe sur la vie littéraire entre 1850 et 1890, il reste incontestablement l’auteur d’une œuvre qu’il convient de relire. Loin de n’être qu’un épigone médiocre de son ami Flaubert ou même un traitre à la cause flaubertienne, Maxime Du Camp qui aura été plus un narrateur ou un conteur qu’un romancier, un théoricien de la poésie qu’un poète, un penseur qu’un moraliste, un sociologue qu’un historien, a écrit et publié de nombreux textes, dont la richesse tant quantitative que qualitative peut représenter une autre manière de faire de la littérature au XIXe siècle.
Ce volume, consacré à Maxime Du Camp, se propose sans volonté de réhabilitation ni perspective strictement historique ou sociologique. L’objectif premier qu’il poursuit consiste dans la volonté de mesurer l’ampleur d’une œuvre aujourd’hui peu lue même si quelques entreprises de réédition ont vu le jour ces trente dernières années. Maxime Du Camp appartient définitivement à |